On peut nier toutes les idées, tous les concepts mais on ne peut pas nier l’expérience.
Cela tombe bien car vivre, c’est expérimenter. L’idée est donc de vivre, non pas endormi, mais conscient au plus près de cette expérience qui fait notre existence.
Par exemple, on peut vivre en conscience l’expérience de nos envies et de nos peurs, surtout que ces dernières se répètent souvent. L’expérience de notre refus de la réalité telle qu’elle, qui mène à la frustration, à l’exaspération, à la colère. L’expérience de notre blessure narcissique où l’on est triste de ne pas être vu tel que l’on aimerait être vu.
Ces expériences-là relèvent de notre simple condition humaine, que nous connaissons normalement par coeur.
Parce que nous connaissons bien ce type d’expériences, nous avons sans doute remarqué leur particularité : elles ont un petit goût de "mort". N’y voir là rien de morbide…c’est simplement que ce qui se répète, par définition, n’appartient pas à la Vie.
Car la Vie, par nature, ne se répète pas, c’est de l’éternellement nouveau, de la pure liberté. De la même manière qu’il n’y a pas de chemin tracé d’avance dans le ciel pour les oiseaux, lorsque nous vivons la vie vivante, l’énergie, ou le souffle, qui nous anime crée en nous une expérience toujours neuve.
L’autre trait caractéristique de cette vie « morte » est qu’elle est forcément lassante : elle se vit comme un poids à pousser. Il n’y a rien de léger… quelle soit subtile, discrète ou bien écrasante, c’est une pesanteur qui pèse et qui lasse.
Quand j’enseigne "la connaissance de soi" à travers l’Ennéagramme, ce que j’aime transmettre et provoquer, c’est la conscience de la différence entre cette vie non vivante, tracée d’avance, conditionnée, lourde, et cette autre vie vivante qui s’invente, s’engendre elle-même comme une source jaillissante. Et comme nous le dit Denys l’aéropagite, cette différence est de taille :
« La vie est tellement vivante que c'est peu dire qu'elle est vivante »
Nous savons intimement, nous aussi, quand notre expérience d’être est pesante, et nous savons aussi quand « c'est peu dire qu'elle est vivante ».
Ce qui est difficile à saisir, en revanche, c’est ce qui fait que nous passons de l’une à l’autre. Et pour cause, car cela ne nous appartient pas de le saisir.
La seule chose que l’on peut faire, c’est se rappeler que ce passage entre nos deux expériences, ou « états » d’être, est affaire de conscience de soi et de rapport au réel, soit encore de ce qu’on appelle notre qualité de présence à notre être et à ce qui est.
Ainsi, il est un état dit de « grâce », où nous sommes dans une conscience d’unité. Un avec la totalité de soi, un avec ce qui est, un avec ceux qui nous entourent. Certes, la porte qui ouvre sur cette unité est toute petite, voire très basse, et donc difficile à passer. Néanmoins, cette unité est la clé de cette vie vivante en nous qui n’attend que de jaillir et de se donner.
Et puis, il est un autre état d’être, avenue très large qui se présente à tout moment où, au contraire, nous sommes divisés, séparés de nous-même, dans le refus de ce qui est, et par conséquent séparés aussi de ceux qui nous entourent : dans une conscience de séparation, le lien avec l’autre est forcément compliqué.
Cet état de séparation résulte toujours d’une fermeture : nous sommes « enfermés », fixés sur nous-mêmes, identifiés à cette image figée de soi (ego) qui sert de programme pour notre pilote automatique et qui fait que notre vie conditionnée tourne en boucle, les mêmes causes produisant toujours les mêmes effets. C’est le propre du conditionnement et de la répétition que nous observons souvent.
Dès que cet état fermé s’ouvre à nouveau, c’est comme si la mâchoire du diviseur (en grec, se dit "diabolos") se desserrait soudain pour laisser passer autre chose.
Cet autre chose, conduit à une toute autre expérience d’être, une autre qualité de présence où l’on est cette fois dans une ouverture totale à ce qui est : l’infini de l’énergie et des qualités de l’être nous est donné, don gratuit. Grâce !
Cette bascule dans l’unité, source de la vie vivante, ne nous appartient pas, on l’a déjà dit. Alors qu’est-ce qu’il nous appartient de faire ?
Tout d’abord, savoir que cette vie vivante existe, et donc apprendre à la connaitre, ou plutôt à la reconnaitre, pour pouvoir ensuite la vivre en conscience.
Ensuite se rappeler que cette vie-là est bien-sûr accessible à tout moment que nous vivons, puisqu’elle est au plus près de nous, en nous, et que le passage vers elle relève du quart de seconde.
Enfin et surtout, faire le « travail » que l’on peut faire : se connaitre et se rappeler à soi-même, en tout temps, et toutes circonstances ("self-remembering"). Il faut pour cela une pratique, une détermination, une discipline de fer. L’enjeu de ce "travail" est de ne pas laisser un pouce de terrain au diviseur tapi en nous.
Si nous voulons être des disciples de la vie vivante, il faut avoir cette discipline-là avec et pour nous-mêmes ! Pas d’autre choix.
Mais il y a une bonne nouvelle : que l’on soit de nature disciplinée ou non, c’est néanmoins à la portée de chacun !
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