Nous avons la fâcheuse habitude d’écarter loin de nous tout ce qui est de l’ordre du sacré, comme si le sacré était chose extérieure, inaccessible.
La vérité, pourtant, est que nous les hommes nous sommes le temple de ce qu’il y a de plus sacré : la vie et l’être, l’être étant ce par quoi la vie se manifeste.
Rien de ce qui existe n’est plus sacré que le coeur de l’homme. On veut nous persuader du contraire, mais que l’on me montre quelque chose de plus sacré que l’Amour dont le coeur de l’homme est capable et je reconsidérerai la chose.
Ainsi la résurrection étant une réalité associée au « sacré » nous l'évacuons de notre conscience. Notre raison frileuse y veille attentivement : la résurrection, si elle a eu lieu, n’a eu lieu qu’une fois ; et puis, la résurrection, ça se "mérite"…il faut sacrément souffrir avant.
Exit la résurrection ?
Non, tout simplement parce que si on est attentif à notre expérience, cette dernière nous dit tout le contraire : en vérité la résurrection fait partie de notre vie à chacun, elle est le sel qui lui donne son goût, la lumière qui éclaire nos coins obscurs, le fondement même de notre espérance, et donc de notre existence.
Parce que ne nous y trompons pas et reconnaissons qu’il y a en nous deux sortes de vie.
Il y a la vie que nous connaissons par coeur parce que répétée inlassablement : celle dirigée par nos doutes et nos peurs, par nos refus de la réalité et donc nos frustrations, par nos humeurs liées à cette tristesse narcissique qui nous colle au coeur, de ne pas être aimé comme on le voudrait.
Cette vie-là, liée à notre condition humaine, se reconnait à son goût de mort. N’y voir là rien de morbide…c’est simplement que, par définition, ce qui se répète n’appartient pas à la vie véritable.
Car soyons honnête ! Cette répétition de nos peurs et de nos humeurs, quelle soit écrasante ou bien subtile, même si elle est sécurisante parce que familière, cette répétition nous pèse et nous lasse toujours, pour ne pas dire qu’elle nous tue silencieusement.
Heureusement, nous savons tous intimement que la vraie vie vivante, ce n’est pas cela. Nous savons que nous avons aussi accès à une vie où rien ne peut être ajouté à l’instant, ou encore « une vie qui est tellement vivante que c'est peu dire qu'elle est vivante » (Denys l’Aéropagite).
Cette vie où « notre coupe déborde » est comme une source qui jaillit en nous de nulle part et qui fait notre expérience « neuve ». De la même manière qu’il n’y a pas de chemin tracé d’avance dans le ciel pour un oiseau, lorsque nous vivons de cette vie vivante, l’énergie et la conscience qui nous animent créent en nous un chemin d’expérience d’être totalement neuf. Et cet éternellement nouveau nous met en contact avec notre liberté d’être, source de notre joie.
« De chaque instant nait un nouvel instant, qui comporte de nouvelles possibilités et s'avère parfois, de façon inattendue, être un nouveau cadeau. (…) Combien chaque jour apporte de richesses nouvelles ! Merci de m'avoir donné assez d'espace intérieur pour les abriter toutes.» Etty Hillesum
Passer de la vie tuante à la vie totalement neuve qui donne la vie, c’est cela la résurrection.
Et cette vie vivante se caractérise par un commencement absolu : on ne renait pas à ce que l’on était, on accède à du nouveau qui dépasse ce que l’on connait, et donc ce que l’on peut imaginer.
C’est ainsi une mutation fondamentale de notre expérience d'être que la vie nous appelle à vivre chaque jour. Et faire l’expérience de l’éternité, c’est cela. C’est expérimenter que cette vie là est toujours accessible et toujours plus forte que la vie tuante. Pour moi, cette expérience d’éternité donne son sens à la vie.
Je ne sais parler que de ce dont j’ai fait l’expérience, donc c’est une expérience vécue. Je la mets en mots pour mettre au pas ma raison, mais aussi parce qu'une expérience n’est jamais autant réelle que lorsqu'on est capable de la partager.
Y a t-il une clé ?
Les traditions s'accordent sur le fait que cette expérience de résurrection (elle ne porte pas toujours ce nom) n’est possible que lorsque l’on est sans division, dans une unité absolue avec soi-même, avec son être. Il ne s’agit pas là d’une idée abstraite, mais d’une expérience sensible, vécue intérieurement dans notre corps, quand on atteint « un point vide, vierge de tout » (1), que les bouddhistes appellent vacuité, et les chrétiens Royaume de Dieu ou plénitude. Ce qu’il faut retenir est que ce "point", quelque soit son nom, est la source du potentiel infini de l’être et de la vie en nous.
La résurrection n’est donc pas qu’un événement avéré pour les uns ou hypothétique pour les autres. C’est une pratique qui se vit jour après jour pour rejoindre ce point d’unité, de vacuité, de plénitude qui est en chacun de nous. L’amour et la beauté sont deux sublimes voies express qui font tendre vers ce point. L’anéantissement par la souffrance peut également y mener.
Mais tout simplement aussi, quand nous faisons l’expérience de respirer profondément, où la respiration est dans l’instant la totalité de ce que nous sommes, nous nous approchons de ce point d’unité, « petite pointe de néant et de pauvreté absolue »(1) du Moi, où tout devient possible.
Il me tenait à coeur d’écrire ce texte pour dire que ce dimanche de Pâques qui vient est véritablement une célébration de la vie pour tous les vivants. Que l’on croit ou non au Christ ressuscité, on ne peut nier notre expérience sensible que la résurrection est à l’oeuvre chaque jour dans nos vies.
Au-delà d’en vivre, il y a aussi urgence d'en témoigner dans ce monde, pour nous rappeler les uns aux autres où se situe l’essentiel, et pour combattre résolument l’idée triste que la vie manque de sens.
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Addendum : Qu’est-ce que l’Ennéagramme ajoute à tout cela ?
Je dirais à la fois rien et tout.
Rien parce que l’Ennéagramme ne fait que décrire et documenter notre passage de la vie morte à la vie vivante.
Tout, parce qu’en avoir une connaissance spécifique, pour soi-même (il y a 9 façons de dire non à la vie vivante), c’est pouvoir le vivre en conscience, et c’est donc pouvoir reprendre chaque fois que nécessaire cette grande respiration dont nous avons tant besoin.
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(1) l'expression est de Thomas Merton
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