L’affaire Jean Vanier m’a donné envie de me replonger dans le livre d’un auteur américain (Robert Johnson) recommandé par Richard Rohr, dont le titre est « Owning your own shadow » (Apprivoiser son ombre).
Ce qui m’avait frappé dans ce livre, c’est que l’auteur présente le lien entre l’ombre et la lumière, dont chaque personne est constituée, comme obéissant à une loi similaire à une loi physique : on ne peut y échapper.
Cette loi est très simple : pas de lumière sans ombre ! Je répète : pas de lumière sans ombre.
Comment comprendre cette loi et quelles en sont les conséquences ?
« Nous sommes tous nés entiers et, espérons-le, nous mourrons entiers. Mais quelque part au début de notre chemin, nous mangeons l'un des merveilleux fruits de l'arbre de la connaissance, les choses se séparent en bien et en mal, et nous commençons le processus de création de l'ombre ; nous divisons nos vies.»*
Soit dit autrement, dans un contexte culturel donné, nous divisons notre vision de nous-mêmes entre ce que nous « jugeons » acceptable et ce que nous jugeons non-acceptable. Ce qui est acceptable à nos yeux a sa place dans la lumière, notre conscience l’intègre et le met en avant, et ce qui est non-acceptable, nous l’éloignons de nous au point de ne plus en avoir conscience : ces aspects-là sont relégués dans l’ombre.
L’auteur ajoute que cette ombre est merveilleuse et nécessaire car il n’y aurait pas d’espace civilisé sans ce tri du bien et du mal. Chacun fait de son mieux pour ne manifester que la lumière dont il est capable tout en cachant les aspects de son ombre.
Là où le bât blesse est que mettre dans l’ombre, ô misère, ne veut pas dire faire disparaitre :
« Les caractéristiques refusées et inacceptables ne disparaissent pas ; elles ne font que s'accumuler dans les coins sombres de notre personnalité. Lorsqu'elles ont été cachées assez longtemps, elles prennent une vie à part ».* Et pour notre malheur, cette vie à part nous dépasse.
Jusque là, c’est assez classique et facile. Ce qui est moins évident à comprendre c’est le fait qu’une énergie en nous qui crée de la lumière, et donc de belles actions animées par des pensées lumineuses, crée en contrepoint un potentiel d’ombre tout aussi réel et en proportion identique.
« Saint Augustin, dans la Cité de Dieu, a tonné : "Agir, c'est pécher". Créer, c'est détruire au même moment. Nous ne pouvons pas faire de la lumière sans créer une obscurité correspondante.»*
L’auteur nous demande de visualiser une balance avec à droite la part de lumière et à gauche la part d’ombre. Et la loi dont on parle veut que les deux plateaux de la balance soient toujours à l’équilibre :
« Une loi terrible prévaut que peu de gens comprennent et que notre culture choisit d'ignorer presque complètement : la balance doit être équilibrée si l'on veut rester en équilibre.»
Ce que je comprends c’est que ne voir que notre lumière et oublier qu’une ombre correspondante est en train de se créer, déséquilibre de fait la balance et nous met en danger…de glisser vers les tréfonds de cette ombre.
L’auteur illustre avec un exemple personnel qui parlera à tous. Il reçoit lors d’un week-end des personnes qui s’avèrent être pénibles et il prend sur lui d’être aimable et de faire son possible pour que leur séjour se passe néanmoins au mieux. A leur départ, il pousse un grand soupir de soulagement et décide de s’offrir une contrepartie car il a bien « mérité ». Ainsi il va dans une pépinière pour acheter de belles plantes pour son jardin, mais avant d’avoir pu faire ouf, il se retrouve dans une altercation terrible avec le vendeur. Ce dernier paye pour les amis indélicats…L’ombre créée s’est manifestée.
Les grands artistes sont aussi de bons exemples de ce phénomène : plus leur créativité est grande, plus il est fréquent d’observer en parallèle chez eux une vie douloureusement sombre.
La question que l’on se pose : Comment, alors, peut-on produire quelque chose de beau ou de bon sans faire de dégâts en contrepartie?
La réponse de l’auteur : Le seul point d’équilibre c’est quand nous nous tenons sur le point central de la balance. C’est un point sacré où nous sommes unifiés : nous connaissons notre lumière et nous acceptons notre ombre : nous l’honorons comme le revers nécessaire de cette lumière que nous voulons être.
Accepter la réalité de cette ombre implique de lui donner sa place, rituellement, par un geste conscient et une certaine dignité, plutôt que de s’illusionner qu’elle n’existe pas jusqu’à ce qu’elle se projette à travers un comportement névrotique.
Outre le fait de faire du mal aux autres, il y a une autre conséquence de taille :
« Nous nous stérilisons en projetant notre ombre. Nous perdons alors une chance de changer et nous ratons le point d'équilibre, la dimension extatique de notre propre vie….Ce point d'équilibre est atteint lorsqu’on honore les deux cotés de la bascule. La Chine antique appelait cela le Tao et disait que la voie du milieu n'est pas un compromis mais une synthèse créative.»*
Ce point du milieu, c’est ce point magique où nous sommes libérés des polarités : ce n’est plus le jour OU la nuit, c’est le jour ET la nuit. Ce n’est plus le bien OU le mal, c’est le bien ET le mal, ce n’est plus la puissance OU la vulnérabilité, c’est la puissance ET la vulnérabilité.
N’avoir plus qu’un seul oeil qui peut embrasser le tout sans diviser est toujours un moment de grâce, en dehors du temps et de l’espace : « En un éclair, ce qui ressemblait à un compromis gris devient une synthèse d'une brillance éblouissante.»*
Ainsi : « Si ton oeil est unique, tout ton corps sera rempli de lumière" (Mt 6:22). L'unicité de l'oeil, le centre de la bascule, est le lieu de l’illumination.»*
Ces considérations sont aussi passionnantes qu’importantes. Si vous voulez approfondir et apprivoiser les polarités qui fondent la structure de votre personnalité, il se trouve que c’est une
partie importante du Module 2 : « Chemins de transformation avec l’Ennéagramme ».
* Extrait du livre "Owning your own shadow" (Traduction de ces extraits : Dorothée Nicolas)
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marie-emmanuelle (mercredi, 04 mars 2020 22:09)
Tres bon texte Dorothee, "eclairant" si je puis dire.